Quarante et un ans. Moi, Charles Péguy, je meurs pour la France, le 5 Septembre 1914 à cinq heures vingt de l'après-midi, une balle dans la tête. C'est à Villeroy, près de Meaux. Paris n'est pas loin. C'est le début de la bataille de la Marne et moi, Lieutenant Péguy, je me dis :

Je meurs debout. Droit comme Jeanne d'Arc. Je pense à mes enfants. Mes enfants que je ne verrai pas grandir. À cet enfant que je ne verrai pas naître. Je pense à vous.

A vous qui ne m'avez jamais empêché d'écrire.

« Ah, mon Dieu ! Mes enfants !... »

Mes lèvres noircissent et mon sang se mêle à la terre.

Heureux ceux qui sont morts

Pour la terre charnelle.

Mais pourvu que ce fut

Dans une juste guerre.

Heureux ceux qui sont morts

Pour quatre coins de terre.

Heureux ceux qui sont morts

D'une mort solennelle.

Fils du peuple.

Tout est joué avant que nous ayons douze ans.

Je suis orphelin de père. La maladie l'emporte le 18 Novembre 1873. Il s'appelait Désiré et exerçait le métier de menuisier. Je vois le jour le 7 Janvier de la même année, à Orléans. Autant dire que je ne vois ni l'un, ni l'autre. Mais je vois très tôt ma mère, Cécile Quéré, rempailleuse de chaises et sa mère, ma grand-mère, Etiennette, figure tutélaire de la maisonnée, toujours prompte à mettre la main à la pâte. Elles parlent beaucoup ces deux-là. Elles se répètent beaucoup, ces deux-là. Ainsi moi, me répété-je beaucoup – celui-là.

Les mots de ma grand-mère qui ne savait pas lire résonnent encore dans ma tête :

« Laisse donc, j'aurai toujours assez de temps d'être à ne rien faire dans mon lit quand je serai pour mourir.»

FIN DE L’EXTRAIT

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